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27 août 2006

Les idées qui rendent dépressif (1 : le matérialisme)

A une époque, une publicité mettait en garde contre l'auto-médication : on voyait des petites gélules qui irradiaient une lumière mystérieuse, symbole de leur (dangereux) pouvoir.

Une voix sépulcrale annonçait "les médicaments sont des produits ACTIFS, ne faites pas joujou avec", ou quelque chose de ce genre...

Et c'est vrai que lorsqu'on voit une pilule blanche, si petite et si neutre d'aspect, on a du mal à faire un lien entre son apparence anodine et ses effets sur la santé... C'est pourtant avec des petites gélules de ce genre qu'on guérit - et parfois qu'on meurt, selon le contenu de la gélule.

Les idées aussi, se présentent sous une apparence quelconque, inoffensive : des petits signes noirs sur des pages blanches, des phrases enfilées à la suite des unes des autres dans des livres ou des magazines. Rien de spectaculaire ou d'impressionnant ; rien d'effrayant non plus.

Et pourtant - comme les gélules médicamenteuses - ces phrases ont un pouvoir, et si on avait le don de double vue, on verrait l'aura qui les entoure : parfois un halo glauque et inquiétant, parfois un éclat froid et glacé, parfois - mais c'est beaucoup plus rare - une chaude lumière dorée.

Les idées sont des produits actifs.
On les goûte lorsqu'on entre en contact avec elles, et on les avale lorsqu'on les croit. Une fois assimilées par notre organisme (par notre tête), elles agissent en nous et nous transforment de l'intérieur, parfois pour le meilleur et parfois pour le pire.

Certaines agissent comme d'excellents aliments bios qui renforcent notre système immunitaire, et d'autres comme des virus particulièrement vicieux et dévastateurs. Ce qui rend la vie si compliquée, c'est qu'on sait rarement à l'avance quels seront leurs effets.

Ainsi il y a toutes sortes d'idées, ayant toute sorte d'impact sur ceux qui y croient : des idées qui rendent fort, des idées qui affaiblissent, des idées qui rendent fous, des idées qui rendent dépressif, etc.

Pour l'instant, concentrons-nous sur les idées qui rendent dépressif.

Les idées qui appartiennent à la famille des Idées-qui-rendent-dépressif sont innombrables : on peut dire que c'est une véritable dynastie, une mafia tentaculaire. Impossible donc d'en faire le tour en quelques lignes.

Cette grande et puissante famille se subdivise en (au moins) deux branches très différentes. Les idées qui appartiennent à la première branche n'ont semble-t-il rien en commun avec les idées de la deuxième branche... mais il s'agit tout de même de la même famille, puisque les unes comme les autres poussent au désespoir.

La première branche est celle des idées matérialistes. Mais attention ! ce ne sont pas toutes les idées matérialistes qui poussent au désespoir. Ainsi le communisme (qui est un matérialisme dialectique) n'entre pas dans cette catégorie.

Pour qu'une idée matérialiste rende dépressif, il faut que :
- elle insiste sur l'absurdité irrémédiable de la condition humaine et son insignifiance ;
- elle définisse l'être humain comme un bipède sans plume (définition débile proposée par un philosophe de l'Antiquité) ou comme un singe nu, sans poil (darwinisme et néo-darwinisme) ;
- elle soutienne mordicus que la conscience n'est qu'une réaction chimique et que la mort est la fin de tout ;
- elle méprise au nom d'un rationnalisme étroit tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à une croyance en l'invisible ;
- elle souligne le rôle du "hasard" et des "mutations aléatoires" dans l'apparition de la vie en général et de l'espèce humaine en particulier ;
- elle présente la morale comme le résultat d'un processus adaptatif ou comme un calcul égoïste (j'aide les autres pour qu'ils m'aident et parce que c'est l'intérêt de l'espèce) ;
- elle décrit l'amour comme un leurre, une sublimation bidon de pulsions sexuelles complètement primaires ;
- elle considère "la lutte pour la survie" et la "loi de la jungle" comme naturels, inévitables et plutôt positifs, même dans les sociétés humaines.

Il n'est pas exclu qu'on trouver des gens qui croient à tout ça et qui, pourtant, gardent le moral. Mais comme l'effet des idées qui rendent dépressif (comme d'ailleurs de n'importe quelle idée) n'est pas instantané, c'est sur le long terme qu'il faut en juger : ceux qui continuent à croire à tout ça pendant dix ans, vingt ans, trente ans, arrivent-ils à conserver leur optimisme intact ?...

Ce serait un véritable exploit.

Si nous prenons un échantillon d'humanité qui croit à un bon nombre des idées sus-mentionnées, je parle de Michel Houellebecq, et que nous examinons sa vie et son état d'esprit, nous constatons que :

- L'échantillon d'humanité en question tombe en dépression en 1980. Il séjourne ensuite à plusieurs reprises en hôpital psychiatrique.
- Lorsqu'on consulte son blog au hasard, on tombe tout de suite sur ce genre de phrase : "Je n’en peux plus. Je souffre trop. J’arrête. Je mets fin. Cette fois, je suis vraiment fatigué. Je n’y crois plus." "J’essaie de refermer la boucle, d’annuler les traces de quelque chose ou de quelqu’un, d’un être malencontreux, embarrassé de lui-même, d’un être en somme qui n’aurait pas du être.
Je n’ai pas eu une vie heureuse."
- Il avoue lui-même avoir d'énormes difficultés à sortir de son lit le matin.

Mais comme un exemple ne prouve rien, examinons rapidement une autre personnalité qui a cru, peu ou prou, aux idées matérialistes évoquées ci-dessus : Schopenhaur.

Le philosophe disait : "La vie de l'homme oscille, comme un pendule, entre la douleur et l'ennui", "toute vie est par essence douleur" ou encore : " Notre état est si malheureux qu'un absolu non-être serait bien préférable."
Evidemment, il faut traduire par : "Ma vie oscille entre douleur et ennui et moi, Schopenhaur, je suis si malheureux que je préferais ne pas être..."

Il y a lien direct entre les idées matérialistes auxquels Schopenhaur adhérait, et sa dépression (non diagnostiquée comme telle, parce qu'elle se présente sous une emballage philosophico-objectif).

Le matérialisme est un tee-shirt sans manche : à la moindre averse, on se prend la saucée.
Car si la vie absurde d'un bipède déplumé ou d'un singe épilé est justifiée par son plaisir de vivre, dès que le plaisir cesse, elle perd toue légitimité. Or, il ne fait pas toujours beau... lorsqu'on croit à toutes les idées exprimées ci-dessus, on n'a rien qui permette de résister dans l'adversité.

Un navet insignifiant n'est supportable que s'il est distrayant ; lorsque le film n'a aucune profondeur, et qu'en plus il est triste, on n'a qu'une envie : zapper.

Lorsqu'on croit que la vie est absurde et qu'on est seulement un petit amas de matière apparu par hasard et promis à une annihilation définitive, et qu'en plus, on a des problèmes (et qui n'en a pas), on a de même qu'une envie : zapper.

Qui est prêt à supporter une existence à la fois absurde, et sinistre ?... Et si elle est absurde, c'est-à-dire si on croit qu'elle est absurde, elle devient très vite sinistre.

En effet la tête de l'être humain a besoin de logique comme son ventre a besoin de pain. Le sens, la cohérence, les relations de causalité, les explications qui expliquent vraiment... tout cela est la nourriture naturelle du cerveau humain, son carburant. L'absurde ne convient pas mieux à l'esprit humain, que le vin ne convient à un moteur diesel.
Lorsqu'on est persuadé que rien n'a de sens (et en particulier, que notre propre existence n'en a pas), l'esprit est frustré de sa pitance : à un certain niveau, on meurt de faim.

Le plus étonnant, dans l'histoire, c'est que lorsqu'on croit à toutes ces idées désespérantes, on n'a aucune envie de changer de croyance. On s'imagine que si l'on souffre, c'est précisément parce qu'on est dans le vrai : le fait que nos propres croyances nous laisse un goût immonde dans la bouche et une nausée persistante (chez Houellebecq par exemple, on vomit beaucoup) serait précisément le signe qu'elles sont vraies, qu'elles reflètent la réalité comme un miroir fidèle.

Selon ce point de vue, la vérité aurait sur l'esprit le même effet qu'un poison a sur le corps. Et cette dernière idée vient compléter les autres, ajoutant ainsi la dernière pierre à la Maison du Désespoir Matérialiste, une bâtisse sans fenêtre dont la porte ne s'ouvre que dans un sens : qui y entre, n'en sort plus jamais.

26 août 2006

Réparer les fuites, éviter le naufrage

Lorsqu'un bateau coule, ce n'est pas forcément parce qu'il a heurté un iceberg ou essuyé une violente tempête. Ce peut être pour des raisons plus internes - telles qu'une fuite d'eau invisible dans la cale. Personne ne la répare parce que personne ne la voit, et au final, le bateau s'abime dans une mer d'huile, sous un beau ciel paisible.

Dans la vie aussi, on ne coule pas forcément à cause d'une catastrophe extérieure, objective - souvent, c'est une fuite qui détermine le naufrage. Réparer les fuites, c'est limiter les risques de naufrage.

Mais qu'est-ce qu'une fuite ?... C'est une idée sur soi ou sur la vie, qui est suffisamment erronée pour nous affaiblir. Toute idée fausse est un point faible, un point d'où s'échappe l'énergie, l'optimisme, le courage.

La vérité renforce, l'erreur démoralise. La vie est une lutte, et dans toute guerre l'avantage revient à celui qui est le mieux informé de la situation : chaque idée fausse à laquelle on croit est un traître que l'on prend pour allié.

Selon une croyance commune, le rêve est doux et l'illusion délicieuse, tandis que la vérité a un goût amer. Affirmation partielle et superficielle qui ne s'en tient qu'à (certaines) apparences.

Lorsqu'elle est sucrée, l'illusion est sucrée comme un bonbon empoisonné ; lorsqu'elle est amère, la vérité est amère comme l'huile de foie de morue : les médicaments les plus efficaces ne sont pas les plus savoureux.
A long terme, la vérité fait toujours du bien à l'âme. Elle apaise et renforce : elle ouvre sur un espace de calme et lucidité.

Mais il faut aussi prendre conscience que toutes les illusions ne sont pas roses, loin de là ; il y en a aussi des maronnasses, des gris sale, des complètement noires.

Ce n'est parce que l'on pense être nul, et que ça nous dérange, que c'est vrai. Ce n'est pas parce que l'on pense que la vie est absurde et que la porte du tombeau est celle du néant, et que ça nous détruit le moral, que c'est vrai.

Le fait qu'une croyance soit indigeste, à la limite de l'insupportable, ne prouve rien en sa faveur. Après tout, la ciguë est très amère : il ne suffit pas qu'une herbe ait un goût infect pour qu'elle soigne. De même, il ne suffit pas qu'une idée soit horrible pour qu'elle soit vraie (présomption de véracité dont elle bénéficie auprès de beaucoup de gens, sous le prétexte complètement fallacieux que la vérité serait toujours désespérante).

Dans la vie de tous les jours, l'un des critères les plus évidents de la différence entre le vrai et le faux, c'est que le vrai permet d'agir efficacement. Lorsqu'on a des informations justes sur les horaires de la Poste, par exemple, ça permet d'envoyer rapidement le colis qu'on veut poster. Inversement, si on ne connait pas les horaires ou si on ne connait que des horaires erronés, on est contrarié, énervé, et objectivement entravé dans ses démarches.

Ce qui est valable pour la vie courante, l'est aussi à un niveau plus général ou métaphysique : les croyances qui ralentissent, font obstacle, rendent apathique ou désespéré, ne sont pas vraies.

Réparer les fuites, c'est se débarrasser des illusions noires tout autant que des illusions roses, et troquer le mensonge contre la vérité : un échange dont on ressort toujours gagnant.

Délire logique ?

"Le délire logique", c'est le titre d'un livre très intéressant de Paul Nothomb (l'oncle d'Amélie Nothomb). Dans ce récit complètement autobiographique, Paul Nothomb raconte comment, militant, résistant et responsable communiste, il fut arrêté et torturé par les nazis.

Après une nuit de torture, il comprend qu'il va bientôt céder, et livrer tous ceux qu'il connait aux griffes des nazis... La seule solution serait qu'il parvienne à faire croire aux nazis qu'il s'est sincèrement converti à leur cause, et qu'il est prêt à collaborer de bon coeur avec eux. Mais Paul est incapable de mentir. C'est un homme entier qui, même dans ces circonstances extrêmes, n'a pas ce qu'il faut pour feindre de manière crédible des convictions qu'il n'a pas.

Son esprit est dans une impasse. La seule issue qu'il trouve, c'est de se convaincre "pour de bon" qu'il adhère aux idées des nazis... Autrement dit, Paul devient fou parce que c'est la seule manière de sauver les vies qu'il veut protéger. Délire complètement logique.

La ruse (ou plutôt, la stratégie désespérée que son esprit a adopté) marche. Paul annonce sincèrement sa conviction sincère à l'idéal nazi. Pour quelques semaines, il devient un collaborateur apprécié des nazis. Ce n'est que lorsqu'il s'agit de livrer les résistants qui sont sous ses ordres, qu'il ne se comporte pas tout à fait comme un bon collaborateur, reportant toujours à plus tard le moment de les dénoncer.

Lorsque sa femme le retrouve et parle avec lui, sa toute nouvelle et "sincère" foi dans le nazisme s'effondre... et lui aussi.
Fin du délire logique.

Cette histoire vraie est instructive à plus d'un titre.
Elle montre que l'esprit peut choisir la folie de manière "logique", quand cela lui semble la seule issue à une situation autrement désespérée. Derrière la folie, à l'origine de la folie, il y a souvent, peut-être toujours, un calcul qui est d'une certaine manière rationnel.
L'histoire de Paul Nothomb montre aussi autre chose : c'est que pour sauver quelque chose qu'on estime plus précieux que tout (ici, les vies des autres résistants du réseau), l'esprit est prêt à une espèce d'Arakiri : il sacrifie sa cohérence à une cause qui selon lui, le dépasse. Lorsque l'enjeu est considéré comme ultime, essentiel, l'esprit est prêt à renoncer à la raison, au bon sens, à la cohérence.

On peut en tirer plusieurs enseignements sur la folie et les bouffées de délire en général :

- Lorsque ce que l'on considère comme le plus important est menacé, lorsque le dieu ou l'idole qu'on s'est donné comme référence absolue, est mis en cause ou en péril d'une manière ou d'une autre, l'esprit peut dans certaines circonstances choisir le suicide intellectuel qu'est la folie, plutôt que d'accepter la destruction de l'objet de son adoration.

Autrement dit, à la suite d'un événement ou d'une prise de conscience, l'esprit se trouve parfois face à une alternative sans troisième terme, telle que :

1/Tirer une conclusion rationnelle de ce qu'il observe et comprend, et réaliser que le dieu qu'il s'est donné n'est qu'un pauvre type, ou une pauvre femme, ou une idéologie vaine... ce qui représenterait un chamboulement complet de toute l'existence.

2/Ou bien disjoncter complèment, et ainsi se classer lui-même dans la catégorie "pauvre esprit égaré, dément" - ce qui lui permet de protéger l'idole adorée de l'examen sacrilège, démystificateur qu'il pourrait en faire.

Le drame est intérieur, tout comme celui qu'a vécu Paul Nothomb.
Il s'agit de savoir qui va être sacrifié : logiquement, rationnellement, ce devrait être l'autre, l'idole dont pour une raison ou une autre, on vient de découvrir clairement les faiblesses et les failles. Mais affectivement, ce serait comme poignarder ce qu'on aime et vénère le plus au monde... alors on préfère se sacrifier soi-même.

L'esprit, effrayé par cette possibilité qui s'ouvre à lui de renverser et briser sa Référence Ultime, se réfugie dans la folie comme dans un havre de sécurité. La Référence Ultime est ainsi protégée contre les atteintes destructrices, corrosives, de l'esprit critique. Détruite, la rationnalité ne constitue plus un danger.

Si Paul Nothomb avait gardé toute sa tête, il n'aurait pas pu protéger les siens, car il n'aurait pas su mentir d'une manière crédible.
Pour sauver ceux qu'il voulait sauver à tout prix, il fallait qu'il mente non à ses tortionnaires mais à lui-même, qu'il se convainque sincèrement d'adopter les idées contre lesquelles il s'était toujours battu, qu'il change soudain toutes ses croyances pour se métamorphoser en authentique nazi.

D'une façon similaire, c'est souvent pour protéger une Instance Supérieure (ou plutôt, une instance que l'on croit supérieure) de sa propre lucidité critique que l'on brise sa raison en choisissant la folie.
Autrement dit, on devient fou par crainte d'être un peu trop logique.

Pour se prémunir définitivement contre la folie, il faudrait donc choisir une Instance Supérieure qui soit authentiquement et réellement supérieure : ainsi la raison ne risquerait pas de la déboulonner, et l'on ne serait pas tenté de fuir dans le délire cette bouleversante possibilité.

Quand on se baigne dans l'océan, il y a une zone particulièrement dangereuse : c'est celle où les vagues se brisent alors qu'on a plus pied. Près du bord, on peut jouer avec les vagues en toute sécurité ; plus loin du bord, les vagues ne se brisent pas encore, et leurs ondulations procurent d'agréables sensations de montagnes russes. Mais entre ces deux zones de confort, on est balloté, malmené par des rouleaux écumants, incapable de reprendre pied comme de reprendre souffle.
D'une certaine manière, la folie correspond à cette zone intermédiaire. Là, on est déjà trop loin du bord, c'est-à-dire qu'on est allé trop loin dans le raisonnement pour s'arrêter de penser quand ça nous dérange, mais on est pas assez informé, pas assez armé au niveau affectif ou rationnel, pour accepter sereinement toutes les conséquences logiques des vérités qu'on entrevoit confusément au large, et qui nous effraient...

Ceux qui restent en sécurité au bord de l'eau, ne se sont peut-être jamais servi de leur tête. Leur logique atrophiée, inexistante, ne menace pas leurs croyances. Rien ne peut menacer leurs croyances, car ils ne réfléchissent pas. Ils ne risquent pas de devenir fous, parce qu'ils sont déjà fous - de cette folie banale et ordinaire qui n'a jamais conduit personne à l'hôpital psychiatrique : la stupidité.
Les nazis qui étaient si fiers de croire "fanatiquement" et "aveuglément" (c'était les mots qu'ils employaient) en leur Führer appartenaient peut-être à cette catégorie.

Ou alors, et c'est un cas radicalement différent, les personnes qui sont en sécurité sur la berge ont un système de croyances si parfait, si complet, si profondément enraciné dans le vrai, que tous les événements, raisonnements et prises de conscience qui surviennent en eux et autour d'eux renforcent systématiquement ce qu'ils croient : eux non plus ne risquent rien...

Ceux qui nagent plus loin, ont traversé la zone de turbulence et atteint l'autre zone de sécurité. Ils ont renoncé à leurs croyances initiales illusoires, accepté les conséquences que leur a indiqué la logique, et au final, trouvé une cohérence qui les satisfait pleinement.

La folie et le délire, sont les troubles d'un esprit logique, plus logique que beaucoup d'autres qui ne se sont jamais posé la moindre question sur rien. Mais l'appétit de cohérence qui a poussé l'esprit jusqu'à la zone dangereuse, ne lui a pas permis de la dépasser, ce qui fait qu'il y reste bloqué.

25 août 2006

Sensibilité aux conditions initiales

Si l'on enlève ne serait-ce qu'un chiffre, dix chiffres après la virgule, à un nombre que l'on multiplie ensuite, le résultat sera très différent. C'est ce qu'on appelle la "sensibilité aux conditions initiales".
Si l'on modifie d'un chouïa les "conditions initiales" de n'importe quelle situation, le résultat final diffère du tout au tout.

La vie aussi est très sensible aux conditions initiales. Et ce que l'on pense, ce que l'on croit... constitue ces conditions initiales si déterminantes. Le résultat final (c'est-à-dire, notre présent heureux ou malheureux, notre futur dans la mesure où nous le déterminons) est totalement dépendant de ces conditions.

Beaucoup de personnes ne se rendent pas compte que ce qu'elles ont dans la tête détermine toute leur existence. Ces personnes n'ont pas conscience qu'elles croient certaines choses - elles s'imaginent que ce qu'elles ont dans la tête est un simple reflet de la réalité. Ce qui les rend aveugle à leurs propres "conditions initiales".

Elles sont souvent dans la situation de quelqu'un qui sait qu'il a quelque chose d'urgent à faire, mais qui ne sait pas quoi. Ou dans celle d'un joueur de foot qui jouerait sans connaître les règles du foot, en espérant gagner le match.

Le plus important (les conditions initiales, nos croyances de base) demandent à être examinées de très près. Car si on se trompe dès le départ... toute la suite s'avèrera fausse aussi.

Les questions existentielles qui viennent nous hanter dans les périodes dépressives sont nos alliées, même si ce sont des alliées très pénibles. Elles viennent nous rappeler l'importance des conditions initiales, l'importance de connaître les règles du foot avant de commencer le match.

Tant qu'on a pas la réponse - la bonne réponse - à toutes ses questions, inutile de se jetter dans la mêlée... car tout ce qu'on y fera sera nul, les conditions de départ n'étant pas remplies pour atteindre un résultat valable.

23 août 2006

Les bases archi-solides de son être

Les tenants du développement personnel et de la pensée positive (teintés d'un peu de mysticisme) célèbrent souvent un termes grandioses les "bases archi-solides" qui seraient en chacun de nous.

Nous serions détenteurs d'une force, d'une puissance, d'un calme intérieur indéfectible.

On peut se poser une question naïve : si vraiment la force (ou la paix, le calme) est en nous, comment ça se fait qu'on ne la voit pas ?... Qu'on ne la sent pas ?... Et qu'au contraire, on ait la perception très aiguisée d'une pitoyable faiblesse, mêlée d'instabilité anxieuse ?...

Les maîtres spirituels et autres grands sages répondent en coeur : "vous n'avez pas bien regardé."

A l'époque où je croyais à tous ces contes enchanteurs, je visualisais "les bases archisolides" de mon être comme une construction de marbre que le temps, la poussière et la terre aurait fini par recouvrir complètement. Les bases archi-solides de mon être étaient certainement là-dessous, mais je ne les voyais pas.

Pour les trouver, je creusais donc sous mes propres pieds. Au passage, étant un peu maladroite, je me cisaillais les chevilles. Et au final, je tombais par terre.

Bien sûr, ce n'est qu'une image... mais il y avait réellement quelque chose d'autodestructeur dans l'introspection à laquelle je me livrais.

D'abord, parce qu'il est toujours malsain de chercher quelque chose qui n'existe pas. C'est une perte de temps, et le temps c'est la vie : un capital non renouvelable qui s'égrène inéluctablement dans le sablier des heures. Chercher en soi-même un quelque chose qui ne s'y trouve pas, c'est vraiment un gaspillage lamentable de la plus précieuse des substances.

Ensuite, parce que toute absorbée dans ma vaine recherche, je ne remarquais pas grand chose d'autre. On ne trouve que ce que l'on cherche, et quand on cherche quelque chose qui n'existe pas... on ne trouve rien.

Les plus grands trésors peuvent longer notre route, si on ne les cherche pas, on ne les verra pas. C'est pour cela que toutes les personnes qui font de fausses promesses, qui peignent habilement des trompe l'oeil que les naïfs comme moi prennent pour la réalité, sont si coupables.

Avec des mots, avec des phrases, ils construisent des châteaux dans le ciel, puis vous y louent une chambre. Et le temps qu'on s'imagine y habiter, on ne cherche pas d'autre demeure. En fait, on habite nulle part : au creux d'un mensonge.

17 août 2006

Angoissé par la mort

Discussion (à moitié) imaginaire entre un-e angoissé-e et quelqu’un qui ne l’est pas :

-Voilà… Je pense sans arrêt à la mort… Je suis obsédée, angoissée… J’ai peur de perdre mes parents… j’imagine sans arrêt le pire… Qu’est-ce que je dois faire ?

-Moi aussi, parfois je suis angoissée par ces idées, mais la seule chose que l'on peut faire, c'est de vivre au jour le jour, sans se soucier de l’avenir. Essaie de croire que tout va bien aller… Résiste aux idées noires… Pense à la vie : nous sommes là, alors profite. Et surtout, positive. Il n’y a pas trois mille possibilités : soit tu te lamentes et tu crains quelque chose qui n’est pas réel, ou du moins qui n’est pas palpable… Soit tu profites de chaque journée qui t’es offerte. Ne gâche pas tes jours et tes nuits à cogiter sur des questions auxquelles nous n'avons pas de réponse.

C’est-à-dire que ce que conseille la personne « normale » à la personne angoissée, c’est de vivre dans l’insouciance. Le point faible de ce discours est dans sa dernière phrase : « Ne gâche pas tes jours et tes nuits à cogiter sur des questions auxquelles nous n'avons pas de réponse. » Pour comprendre où est la faille, transposons la situation.

Imaginons que ces deux personnes ne parlent plus d’angoisses, mais d’ordinateurs :

-Voilà… Je n’y arrive pas… Chaque fois que j’essaie de l’allumer, il plante… Qu’est-ce que je dois faire ?

-Moi aussi, je n’y arrive pas. Je n’ai jamais réussi à allumer mon ordinateur. Mais ce n’est pas grave. Pense à autre chose. Tu n’as pas besoin d’un ordinateur. De toute façon nous n’avons pas le mode d’emploi.

Mais ce n'est pas parce qu'on n'a pas le mode d'emploi qu'il n'existe pas, ou que ça ne vaut pas la peine de le chercher. Sur quelles questions est-il nécessaire de cogiter, si ce n’est sur celles « auxquelles nous n’avons pas de réponse » ?
Si nous connaissons déjà la réponse, c’est que nous n’avons pas de question… Et si nous voulons une réponse, nous devons d'abord nous poser une question...
Alors bien sûr, réfléchir en circuit fermé, à l’intérieur de sa tête, n’est pas une solution : il faut chercher les réponses hors de sa tête. Mais les réponses aux questions existentielles (sur le sens de la vie, le sens de la mort, etc.) existent. Pour les connaître, il faut les trouver. Pour les trouver, il faut les chercher. Non seulement ça, mais il faut les chercher au bon endroit. Là où elles sont. C’est aussi simple et aussi difficile que ça.

15 août 2006

Viol et conséquences

Le viol est un sujet douloureux et complexe, et si je l'aborde ce n'est pas pour proposer une solution (du type, "comment se remettre d'un viol ?"...), car je n'en ai pas, mais plutôt pour partager quelques réflexions.
Avec toujours l'espérance que voir les choses autrement, peut aider à les vivre autrement...

Même si dans certaines circonstances bien particulières, n'importe quelle femme - ou n'importe quel homme d'ailleurs - peut être violé, il y a cependant des personnalités qui sont plus fragiles, plus vulnérables, autrement dit plus "violables" que d'autres.
Attentifs à des petits signes presque imperceptibles qui la trahissent, les prédateurs perçoivent cette vulnérabilité. Un peu comme un loup ne s'attaquera pas à n'importe quel animal, mais choisira celui qui est malade, fatigué... et que son instinct aiguisé lui fait reconnaître.

Après un viol, la victime sera encore plus fragile, ou le devient si elle ne l'était pas avant.

La façon (peu connue du grand public) dont les Illuminati parviennent à transformer des êtres humains en robots parfaitement programmés, obéissant au doigt à l'oeil à leurs maîtres comme des machines, est de les torturer et violer dès l'enfance.

C'est que le viol est un acte qui "casse" la volonté, la personnalité de celle ou celui qui le subit. C'est au noyau intime, à l'intégrité psychique et morale de la victime que le violeur s'en prend.

Le viol cause donc des ravages au coeur le plus intime de la personnalité. La personne violée est comme dépouillée d'elle-même, volée d'elle-même, vidée d'elle-même.

Ses limites ont été bafoué, son territoire a été envahi, piétiné : et elle se retrouve ensuite au milieu d'un désastre, sans savoir comment réparer ses clotures, reconstruire ses murs.

Cette difficulté, voire cette impossibilité à rétablir ses propres contours, fait que la personne violée ne sait plus vraiment qui elle est, et peut même perdre le sens de son existence. Elle ne se sent pas être, elle ne croit pas à sa valeur, et se voit plutôt comme une marchandise dévaluée, méprisable. Une chose parmi les choses.

Elle a été en effet utilisée comme une chose, et pour être tolérable, ce traumatisme lui impose une certaine vision d'elle-même : celle d'un objet ou d'une machine.

C'est un peu comme si, à un certain niveau d'horreur, l'esprit n'avait plus d'autre possibilité que d'acquiescer à ce qu'il vit. Il a besoin d'un sens, d'une logique, et la seule qu'il trouve c'est qu'effectivement, on n'est qu'une serpillère, un bidet, un objet...

Cette souffrance l'exile d'elle-même, la met à distance d'elle-même. Ce qui permet à n'importe quelle personne d'influence de prendre le pouvoir, et de la téléguider à distance.

Le roi (la volonté, la personnalité) s'est fait vagabond, il est parti sur les routes ; n'importe quel usurpateur peut prendre sa place. D'autant que les Autres paraissent maintenant très forts et très impressionnants : ils semblent habiter leur corps, leur vie, d'une manière vraiment cohérente et puissante. Alors pourquoi ne pas leur céder les commandes, puisque de toute façon on est plus capable de les tenir soi-même ?...

Cette personne d'influence peut être le violeur lui-même. C'est ce qui se passe dans le cas des Illuminatis. La personne violée devient l'esclave "consentant" (mais ici, le mot n'a pas grand sens) de son violeur.

***

Le viol n'est pas seulement un acte physique ; ce peut-être aussi un acte verbal. Il y a des paroles qui constituent un viol atténué, un début de viol.

***
Pour savoir où l'on en est, question vulnérabilité, il y a un petit test facile à faire. Il faut imaginer un premier cercle autour de soi, à quelques centimètres, puis un deuxième, un troisième, un quatrième... de plus en plus loin.

Si les cercles que l'on visualise sont ouverts, ou en pointillés, et que les visualiser suscite un malaise mêlé de détresse, c'est qu'on a un problème de limites, que notre intégrité émotionnelle est fêlée : notre personnalité présente une fuite, ou plusieurs... elle peut même être trouée comme une passoire.

Sans être à proprement parler une solution, il peut être bon dans ce cas d'examiner d'un oeil neuf la très désuète pudeur.

Nous vivons dans un monde où les femmes nues (sur les affiches, les magazines, dans les films...) sont la norme. A tous les coins de rue, de belles femmes en culotte et soutien-gorge se tiennent fièrement les mains sur les hanches, la poitrine brandie en avant. Dans ce contexte, la pudeur apparait comme une stratégie de perdante, une pitoyable manière de ne pas assumer son corps, presque une tare.

Mais en réalité, la pudeur est moins l'expression d'un complexe ou d'une crainte qu'un instinct naturel d'auto-défense : être nu, c'est être vulnérable, violable. Etre couvert-e, c'est être protégé-e des jugements, des regards... et tracer de manière à la fois littérale et symbolique une barrière protectrice extrêmement utile et précieuse.

Le fait de ne pas raconter toute sa vie aux inconnus ou de ne pas coucher avec eux, participe de cette même barrière défensive.

Dans un tableau, les éléments qui existent vraiment pour l'oeil du spectateur sont ceux qui ont un contour nettement délimité. Pour exister à ses propres yeux comme à ceux des autres, mieux vaut appuyer le trait. Les vêtements et le quant à soi, la réserve, sont comme des lignes qui épaississent la ligne trop mince de notre peau.
A la différence de la plupart des animaux, qui sont naturellement revêtus de plumes, d'écaille, d'épines ou de poils, l'être humain est nu... et il a besoin de se couvrir.

La pudeur est à la fois une manière de se vêtir, une manière de parler et une manière de penser. La cultiver peut aider à construire un mur autour d'un jardin trop collectif, pas assez secret.

La cultiver, c'est planter dans un terreau fertile une graine d'individualité libre et forte.

12 août 2006

Le délire d'irréalité

Je me demandais pourquoi notre cerveau veut nous faire croire des choses absurdes comme par exemple "Que tout est faux/pas réel" ?

Lorsqu'on a vraiment la réponse à cette excellente question, on est tout prêt de trouver la clef, la solution du problème.

Le délire est toujours un signal d'alarme, une espèce de sonnerie qui se déclenche, manifestant ainsi à la conscience l'existence d'un problème qui est bien plus ancien que le délire proprement dit, problème qui avec le temps a pris une telle ampleur, qu'il est devenu impossible d'ignorer son existence.

De la même manière que au feu ou au voleur sont des cris de détresse en rapport direct avec une situation d'urgence bien précise, un délire d'irréalité est un signal en rapport direct avec le problème qu'il signale, révèle.

On s'imagine que tout est faux parce qu'on a un problème en rapport avec ce sujet du faux, du mensonge... et aussi, bien sûr, avec le sujet symétrique de la vérité.

Imaginons quelqu'un qui porterait des lunettes où seraient imprimées l'image d'un pingouin. Partout où il regarderait, il verrait ce pingouin. S'il regardait le ciel, il verrait le pingouin dans les nuages ; s'il regardait à l'horizon, il verrait la silhouette du pingouin s'y profiler ; s'il regardait au fond d'un bol, il y trouverait aussi le pingouin.
Le monde entier lui apparaitrait sous le signe du pingouin.

Nos idées, nos croyances sont exactement comme des lunettes que l'on aurait sans cesse devant les yeux, à travers lesquelles on regarde, qu'on ne peut pas enlever, et qu'on n'a pas conscience de porter.

Si nos croyances-lunettes ont un défaut, partout où l'on portera les yeux, on verra ce défaut, tout comme le personnage de l'exemple voit son pingouin partout - et ce défaut on le verra sur le monde, alors qu'il est en réalité sur les lunettes.

Avoir l'impression que "tout est faux" est le signe que nos croyances sont fausses. Ce n'est pas le monde qui est faux, mais les lunettes avec lesquelles on le regarde qui sont déformantes, erronnées... falsifiantes.
Ainsi en nous disant que "tout est faux", notre cerveau ne veut pas nous faire croire quelque chose d'absurde, mais plutôt nous signaler que nous croyons à beaucoup d'absurdités, à beaucoup de mensonges - et que c'est un problème.

C'est un peu comme si une boussole intérieure innée, un sixième sens plein de bon sens qui serait au courant de ce que notre conscient ne sait pas, nous prévenait que nous ne sommes pas dans la bonne direction, que nous avons pris le mauvais chemin, que nous avons perdu le Nord... que nous accordons foi à des faussetés, à des illusions complètement irréelles. D'où cette idée que "tout est faux/pas réel".

Mais pourtant, je ne crois rien de particulier... Et la plupart des gens que je connais et qui croient les mêmes choses que moi, n'ont jamais cette impression que "tout est faux"!

Effectivement, il y a des milliers de gens qui croient exactement la même chose que vous, et qui ne souffrent ni d'angoisse, ni de dépression, ni de bouffées de délire. C'est là qu'on arrive à un point assez délicat à comprendre, et qui demande un changement de perspective à 180 degrés.

En effet, quand on va mal on est naturellement persuadé que c'est parce qu'on a un problème que les autres n'ont pas - ce qui bien sûr est vrai en un sens...

Mais ici, il faut regarder les choses sous un autre angle, et envisager l'hypothèse inverse : que ce sont les autres qui ont quelque chose qui cloche, quelque chose qui ne fonctionne pas.

Ce qui dysfonctionne chez eux, c'est qu'ils n'ont pas de signal d'alarme. Le feu est là, le voleur est là - mais personne ne crie, aucune sirène d'alerte ne se fait entendre. Autrement dit, ils ont exactement le même problème que vous (des croyances fausses), mais rien ne les en avertit.

Mais du coup, pour eux, ce n'est pas un problème !

Et oui...

Et si ce n'est pas un problème pour eux, si rien ne vient les prévenir qu'il y a "quelque chose de pourri" dans leur monde, c'est qu'à un niveau très profond, ils ne désirent pas la vérité, ils n'ont pas besoin de la vérité, et n'en voudraient pas s'ils la rencontraient.
Comme ils ne la désirent pas, elle ne leur manque pas, et ils ne remarquent même pas son absence.

Si vous souffrez et pas eux, c'est que vous, au contraire, vous avez besoin de cette vérité inconnue dont l'absence vous fait souffrir.

Subir un délire d'irréalité, c'est un peu comme être séparé d'un être cher : on est opprimé par un manque, une absence... La vérité n'est pas là, et ça fait mal.

Si j'ai bien compris, la solution serait de connaître la vérité - si vraiment elle existe ?...

Oui, ce qui implique beaucoup de recherches, de lectures, de discussions... et de grands changements intérieurs.

11 août 2006

Amour, Souffrance (et Fromage)

Le chagrin d'amour est une souffrance bien particulière, et qui peut dans bien des cas pousser jusqu'au suicide, mais il y a souvent une espèce de malentendu derrière, et si on éclaircit les raisons pour lesquelles on est tombé amoureux, ou les raisons pour lesquelles on reste amoureux envers et contre tout, il y a peut-être moyen de se sortir d'affaire.

En gros, on peut dire qu'il y a deux types de sentiment amoureux : drogue et nourriture.
Le sentiment-drogue, c'est celui qui est délicieux au début et dont on devient dépendant très vite. L'autre (l'aimé-e) est comme la dose de cocaïne dont on a besoin, mais qui ne nous satisfait jamais, et dont chaque piqure aggrave le manque en feignant de le combler. Il entraîne dans une spirale descendante de désespoir. Au fond du trou - mais en réalité ce trou n'a pas de fond - on se sent nul, pitoyable, à supplier silencieusement ou non l'autre de nous aimer encore un peu.

Il y a souvent une forme de fidélité romantique qui vient aggraver les choses : on aime non seulement l'autre, mais aussi ce sentiment qu'on lui porte et qui nous déchire. On ne veut pas renoncer à la souffrance, parce qu'on ne veut pas renoncer à ce sentiment qui a quelque chose de beau dans sa persévérance obstinée. On se définit par l'Autre, celui qu'on aime, et par l'amour qu'on lui porte : comment pourrait-on y renoncer ?... Ce serait comme renoncer à son être même...

La seule chance de bonheur qu'on se voit, c'est que l'Autre retourne vers nous et nous (re)choisisse enfin. Toute autre possibilité semble vaine, terne, dérisoire.
On est dans le "C'est elle ou rien, elle ou le néant, la mort, l'absurde".

Et l'on souffre effectivement au niveau du coeur, d'une façon souvent très physique, d'amour, d'humiliation, du rejet et du refus de la personne la plus importante à nos yeux.

Comment sortir de cet état-là ?...

Il n'y a pas de remède simple - à part un (demander l'aide de celui qui peut vraiment aider).

On peut du moins envisager que cet être idéalisé qu'on a pris pour idole ne nous apporterait absolument pas le bonheur que l'on imagine, ou dont l'on se souvient, si par un impossible hasard il changeait d'avis et revenait vers nous.

A ce propos, l'histoire "Qui m'a piqué mon fromage ?" de Spencer Jonhson est tout à fait édifiante.

Un jour, Pelochon et Baluchon arrivèrent comme d'habitude à la gare fromagère où ils avaient l'habitude de se régaler. Et ce jour-là... plus de fromage !
Transposé, c'est l'histoire de cet homme - ou de cette femme - qui un jour, ne trouve plus l'amour auquel il s'était habitué. L'Autre est parti, l'Autre ne l'aime plus.
Pelochon et Baluchon sont effondrés :
"Qui a piqué mon fromage ? gronda-t-il de plus belle, à en ébranler les parois du labyrinthe. Restant sans réponse, il porta ses mains à sa taille et, rouge de colère, poussa ce cri du coeur :- C'est trop injuste ! Baluchon, de son côté, se contentait de secouer la tête, tel un boxeur groggy. Lui aussi était convaincu que le fromage les attendait comme de juste. Il semblait pétrifé, transi d'effroi. Il n'était pas préparé à un tel choc. Les éructations de Polochon lui glaçaient le sang. Incapable de faire face à la nouvelle donne, Baluchon voulait plonger sa tête dans un trou.Si l'attitude des minigus n'était guère constructive, elle était toutefois compréhensible. Le Fromage ne se trouvait pas sous le pas d'un cheval, et il constituait bien plus à leurs yeux qu'un casse-croute ordinaire : la quête du Fromage représentait la quête du bonheur. Chaque minigus avait sa propre vision du Fromage, qui dépassait de loin les simples considérations d'ordre gustatif. Pour les uns, le Fromage, c'était la prospérité. Pour les autres, c'était le travail, la santé, ou l'épanouissement personnel. Une raison de vivre, en somme."

Et pour d'autres, le Fromage, c'est l'amour... ou l'Aimé-e.

Que faire lorsqu'on constate que le vieux fromage a disparu ? On peut, comme Polochon, s'obstiner à attendre qu'il revienne, ou s'épuiser à casser les murs de la gare en s'imaginant qu'il est peut-être caché derrière - ou l'on peut, comme Baluchon, décider qu'il est temps de partir à la recherche du Nouveau Fromage, et s'élancer dans le Labyrinthe à sa recherche.

Le bonheur passé n'est plus : le vieux Fromage a disparu. Il ne reviendra pas, jamais. Est-on prêt à partir à la recherche du Nouveau Fromage, ou choisit-on plutôt de croire qu'il n'y a que le vieux fromage qui soit à notre goût, et que s'il n'y a plus de vieux Fromage, alors la vie ne vaut plus la peine d'être vécue ?...

"Plus vite tu oublieras le Vieux Fromage, plus tôt tu en trouveras du Nouveau."

J'ai été désespéremment amoureuse pendant 3 ans d'un homme, et si j'avais tourné plus tôt la page, j'aurais rencontré plus tôt mon véritable amour - l'homme de ma vie, mon âme soeur.

Il y a deux sortes d'amour : l'amour-nourriture et l'amour-drogue. Quand un amour fait trop mal, c'est qu'il est devenu une drogue toxique.

Au lieu de s'empoisonner avec les dernières miettes poussiéreuses et moisies du Vieux Fromage, mieux vaut partir à la recherche du Nouveau Fromage.

Comme dit S. Johnson : "Le Changement est inévitable. Le Fromage change sans cesse de place."

Pour ceux qui voudraient lire Qui m'a piqué mon fromage ?, voici l'adresse où le commander :

http://www.amazon.fr/gp/search/402-9987942-6967350?search-alias=stripbooks&author=Johnson&select-author=field-author-begins&title=fromage&select-title=field-title&subject=&select-subject=field-subject&field-isbn=&field-publisher=&field-binding=&field-dateop=before&field-datemod=0&field-dateyear=2009&sort=%2Bsalesrank&field-collection=&mysubmitbutton1.x=0&mysubmitbutton1.y=0

08 août 2006

La maison du passé

Lorsqu'on souffre psychologiquement, on est comme enfermé dans une maison familière et pourtant angoissante : son passé. Le nouveau a un goût de vieux. Et les événements les plus inhabituels ne suscitent rien que des souvenirs.

C'est comme une maison hantée et labirynthique, sans fenêtre, où l'on peut errer éternellement... et c'est ce qu'on fait.

Voilà ce qu'écrit John C. Maxwell à propos d'une expérience cruelle mais instructive :

"Au cours d'une expérience de laboratoire, on a mesuré la motivation des rats à vivre dans différentes circonstances. Des scientifiques laissaient tomber un rat dans une jarre d'eau qui avait été placée dans l'obscurité complète, puis ils chronométraient le temps durant lequel l'animal continuait à nager avant d'abandonner et de se laisser couler au fond. En général, le rat ne tenait pas beaucoup plus de trois minutes.
Ensuite, ils ont jetté un autre rat dans le même genre de jarre, mais au lieu de l'obscurité totale, ils ont laissé pénétrer un rayon de lumière qui l'éclairait. Dans ces circonstances, le rat a continué à nager durant 36 heures. Ce qui correspond à 700 fois plus de temps que le rat plongé dans l'obscurité!"

La lumière est là, que le rat la perçoive ou non : mais s'il la voit, il résiste beaucoup plus longtemps. Comme les rats, les êtres humains ont besoin de voir un peu de lumière pour résister. Il leur faut savoir que la maison du passé où ils errent depuis si longtemps n'est pas tout l'univers - ce qui serait désespérant - mais seulement une minuscule parcelle de celui-ci. Qu'ils n'aient pas encore trouvé la porte de sortie, l'issue de secours, ne signifie pas qu'elle n'existe pas ou qu'elle est introuvable, juste qu'ils ne l'ont pas encore rencontrée - ou qu'ils ne l'ont pas encore reconnue.

Dans le film Truman show, le héros est prisonnier d'un univers artificiel depuis sa naissance. Tout est faux dans son monde : non seulement ses parents, sa femme, ses amis... sont des acteurs récitant leurs rôles, mais même la mer, le ciel, le soleil... sont factices.
Après un long et douloureux périple, il touche enfin "le ciel" : un trompe-l'oeil.

Le moment où sa main se pose sur la surface peinte, le moment où il touche enfin la vérité du mensonge, est extrêmement émouvant, d'une émotion qui n'a rien à voir avec celles que remuent complaisamment la plupart des films (amour, haine, sentiment d'appartenance, désir, peur, etc.) Quelle émotion ?...

Une émotion fine, poignante comme un cristal qui se brise, et en même temps profonde et exaltante comme une lame de fond - une émotion qui déchire et libère : l'émotion qui nait d'une véritable prise de conscience.

Ce que Truman, le héros du film, ressent, c'est l'angoisse de la perte, le deuil soudain et définitif de ses illusions : maintenant, il ne pourra plus être leurré, ni se leurrer lui-même. Maintenant, il sait de science certaine que l'univers qu'il a toujours connu, et qu'il confondait avec l'univers, est faux. Il y a quelque chose de terrible dans cet anéantissement soudain de tout ce qu'il croyait jusque là. Quelques centièmes de seconde réduisent en cendres toute sa réalité : car s'apercevoir que les personnes, les idées... auxquelles ont faisait une absolue confiance sont erronés, mensongers ou menteurs, c'est comme assister à la destruction instantanée de toute son existence.

Mais ce qu'il ressent aussi, c'est l'ouverture des possibles : car si son monde est faux, c'est forcément que derrière "le ciel" (ce mur peint en trompe l'oeil qu'il a pris si longtemps pour l'infini), le vrai monde l'attend. La confuse intuition qu'il y a quelque chose qui cloche, et cette sensation incompréhensible d'insatisfaction qui le taraudait jusque-là comme un lancinant et indéchiffrable rappel, trouvent alors une confirmation, une explication spectaculaires : oui, il y a bien un problème - un problème si énorme, si général qu'il en est invisible. Oui, il y a bien quelque chose qui manque - quelque chose de si fondamental, qu'en son absence, rien n'est valable.

Ce problème, c'est l'architecture sophistiquée de mirages qu'il prenait pour le monde, et ce quelque chose qui manque, c'est la vérité.

Lorsqu'on nage dans la jarre close, sans lumière, lorsqu'on est prisonnier de la maison du passé, labyrinthe poussiéreux et étouffant peuplé de fantômes et de portraits d'ancêtres, on ne sait pas qu'au delà des murs qui limitent notre existence, ou plutôt notre inexistence, se trouve un vrai ciel, un vrai soleil, toute une plénitude estivale qui attend...

02 août 2006

Ceux qui poussent les autres vers la mort (tout en restant à l'abri)

On lit parfois les témoignages de personnes désespérées, qui se sentent coupables d'avoir poussé un de leurs proches au suicide. Elles-mêmes suicidaires, elles n'ont pas su protéger leur entourage contre l'influence délétère de leur mal-être. Ces personnes-là sont peut-être coupables, mais ce n'est certainement pas moi qui vais les juger. Que quelqu'un de complètement perdu égare ceux qui le suivent n'est que logique, rien de plus.

Mais il y a d'autres personnes, ayant un tout autre profil, et qui elles savent très bien ce qu'elles font. Celles-là ne sont pas dépressives, ni angoissées, ni désespérées - au contraire, elles adorent la vie - et c'est de manière tout à fait délibérée et consciente qu'elles poussent les autres vers la mort, soit parce que c'est leur intérêt, soit parce que ça les amuse, tout simplement.

En d'autres temps, on appelait ces gens-là des "méchants", sans que le mot paraisse enfantin ou dérisoire. Aujourd'hui, on les appelerait des "salauds", si le relativisme culturel n'avait pas estompé les notions de bien et de mal. (Tout est question de point de vue, tout est subjectif, bla, bla, bla...)

Pendant la première guerre, les journalistes et propagandistes qui encourageaient vivement les gens à aller tuer et se faire tuer tout en restant tranquillement à l'arrière faisaient parti de cette catégorie-là.
C'est une catégorie où il y a beaucoup de monde, parce qu'il y a de nombreuses manières différentes de pousser les autres vers la mort, et aussi parce qu'il est plus facile - et à un certain niveau, plus rentable - d'être un salaud que le contraire.

Les publicistes qui célèbrent sur des millions d'affiches les vertus rafraichissantes et désaltérantes de telle boisson alcoolisée en période de canicule savent très bien que leur travail de créatif est responsable d'accidents mortels sur les routes et de vies bousillées par l'alcool. Ils continuent quand même, parce que ça leur rapporte de l'argent et qu'ils n'ont pas assez de conscience pour que ça les dérange.

Mais il y a d'autres façons, plus cachées et subtiles, de pousser les gens à se tuer.

On peut par exemple chanter "On ira tous au Paradis..." (parce que si c'est vrai, pourquoi ne pas y aller tout de suite ?) ou développer dans des ouvrages de "Spiritualité" des idées très séduisantes sur l'Inconnu et Le courage : la joie de vivre dangereusement. (livre qui existe réellement, et dont l'auteur est un soi-disant "grand sage").
Le fait même d'associer les mots joie, vivre et courage à dangereusement constitue une incitation subtile à adopter des comportements dangereux pour soi - autrement dit, à se tuer accidentellement ou volontairement. Le contenu du livre va dans le même sens.

Carlos Castaneda, l'anthropologue mythomane, excelle particulièrement dans ce genre d'incitation intelligente et retorse. Tous ses livres sont des apologies brillantes du Grand Inconnu, et de son exploration.
Il a d'ailleurs su convaincre deux jeunes femmes de se suicider, pour l'accompagner dans la mort... (il était atteint d'une maladie mortelle et se savait condamné.) Si elles n'avaient pas adhéré à ses idées et cru à ses beaux discours, elles seraient encore en vie, elles seraient peut-être heureuses aujourd'hui.

On peut dire que tous ces gens, qui sont parfois très célèbres et très bien considérés, plantent de jolies fleurs parfumées au bord d'un gouffre vertigineux, mortel, puis incitent les passants à se pencher vers elles pour en apprécier le parfum.
Ceux qui tombent ne risquent pas de leur faire un procès, et ceux qui ne tombent pas les remercient sans voir le gouffre.

On a tous, en soi, une petite voix maléfique qui se fait l'appui de tous les discours séducteurs et trompeurs que l'on peut entendre autour de soi.
Chaque être humain héberge, qu'il le veuille ou non, une instance qui aime gâcher et détruire. C'est cette voix qui présente le suicide comme un acte courageux, une manière de prouver sa liberté, etc. Elle ne nous veut que du mal, exactement comme les fournisseurs d'alcool et de drogue ne nous veulent que du mal : notre déchéance est leur gagne-pain.

Mais heureusement, on a aussi tous l'instance contraire, celle qui parle du vrai courage, qui consiste à prendre le chemin difficile, celui qui monte, de la vraie liberté, celle qui est une responsabilité, et de la possibilité de changer pour le mieux, au prix d'une réflexion personnelle exigeantes, de recherches, de lectures et d'efforts quotidiens.

En résumé, il y a des gens qui vivent de la mort des autres - un peu comme les tiques et les autres animaux sympathiques de ce genre.
Ils vendent des armes, de la drogue, de l'alcool, des idées qui sont pareilles à des couteaux sans manche (on ne peut s'en saisir sans se blesser soi-même), et eux-mêmes ne se battent pas, ne se droguent pas, ne boivent pas, et ne croient pas à ce qu'ils racontent.

Ils appellent les gens au bord du gouffre, leur expliquent que s'ils y croient très fort et qu'ils sautent, ils vont s'envoler, puis quand tout le monde est mort, rentrent tranquillement chez eux par le chemin le plus sûr pour recommencer le lendemain avec d'autres...

Un peu comme le joueur de flûte de Hammelin, qui par les sons mélodieux de sa flute entraîna les rats jusqu'à la rivière où ils se noyèrent tous jusqu'au dernier - puis entraîna les enfants du village vers un sort comparable :

"Et le petit homme partit, jouant de sa flûte d'abord très fort, puis ses doigts si agiles émirent des sons très doux. Et on vit très vite des têtes d'enfants regarder aux fenêtres. Puis un gamin sortit de chez lui, et contempla avec enthousiasme l'homme qui jouait si bien. Vint un deuxième, puis un autre et tous le regardaient envoûtés. Celui-ci jouait toujours; sa musique devenait plus douce et plus captivante et leur faisait imaginer des pays merveilleux où ils n'auraient qu'à s'amuser sans jamais être grondés.
Et ainsi cette bande d'enfants devenait de plus en plus nombreuse. Tous étaient heureux, riaient, chantaient et se tenaient par la main tout en suivant de plus en plus vite le joueur de flûte. Les parents se mirent à la poursuite leurs enfants qui s'en allaient à l'aventure, ensorcelés par le petit homme."N'allez pas avec lui, revenez avec nous, par pitié." criaient les parents, désespérés et cherchant à les rattraper. Mais ils se fatiguèrent bien vite et les perdirent de vue. Pendant ce temps le joueur de flûte suivis des enfants qui chantaient à tue-tête, arrivèrent à la montagne située derrière la ville, Ils étaient si heureux que personne n'aurait jamais pu les faire changer de route. Au son de la flûte la montagne s'entrouvit et tous, le joueur de flûte en tête, passèrent l'un après l'autre à travers la porte qui se referma aussitôt."

Même si ce découpage binaire paraît aujourd'hui grossier, manichéen, et complètement archaïque, l'humanité continue à se partager en deux groupes : les bons et les méchants. Et ceux qui ignorent que le deuxième groupe existe l'ignore à leur dépend, car leur ingénuité en font des proies faciles pour les rapaces en tous genres.

Depuis la nuit des temps, il y a eu des joueurs de flûte pour entraîner ceux qui les suivent, fascinés, à leur perte.

Certains réalisateurs de films, certains chanteurs, certains auteurs... sont des joueurs de flute tout aussi experts que celui de Hammelin. Lorsqu'on veut vivre, réussir sa vie, être utile, il vaut mieux ne pas les écouter.