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17 octobre 2007

« Suis-je schizophrène ? »

Lorsqu’on se pose cette question c’est qu’on espère que la réponse nous permettra de mieux comprendre pourquoi on se sent ainsi, pourquoi on se comporte ainsi. Mais encore faut-il que ce mot-là (schizophrène) ait pour nous un sens plus précis que « pas normal, fou sur les bords ». Car après tout, on le sait déjà, qu’on n’est pas tout à fait normal… Ce qu’on veut, c’est un supplément d’information, pour savoir un peu mieux qui nous sommes et ce que nous sommes.

Une petite enquête s’impose…

Une petite enquête sur la schizophrénie telle qu’on la définit aujourd’hui ne suffirait pas ; il faut creuser sous la croûte, explorer les profondeurs. L’explication complète, éclairante, se trouve presque toujours en amont, à la source, là où tout a commencé.

Flash-back.

Avant 1917, il n’y avait pas de schizophrènes… ou seulement des schizophrènes qui ignoraient qu’ils l’étaient : pour l’instant on ne peut choisir entre ces deux éventualités.

Que s’est-il passé en 1917 ? a-t-on fait une découverte scientifique qui a permis d’identifier une nouvelle maladie ?... Du tout.

En 1917, Eugen Bleurer, un psychiatre zurichois ayant un don incontestable pour la néologie, forgea le mot schizophrénie à partir des mots grecs skhizein (séparer, partager, diviser) et phrên, phrenos (esprit). Le mot, qui s’appliquait d’abord à une psychose caractérisée par une désagrégation psychique, la perte du contact avec la réalité et divers troubles, s’est ensuite appliqué très largement à toutes les formes de psychose… (Je résume le dictionnaire[1].)

Lorsqu’on définit un cheval comme un « mammifère avec des sabots », le cœur de la définition est « mammifère ». Même si on comprend très bien ce que sont des sabots, si on ne sait pas ce qu’est un mammifère, on n’a absolument rien compris à ce qu’est un cheval. C’est « mammifère » qui constitue la partie la plus essentielle de la définition de « cheval ».

De même, pour savoir ce qu’est la schizophrénie, on doit à tout prix comprendre ce qu’est une psychose, puisque la schizophrénie est un genre de psychose : continuons l’enquête.

Avant 1845, il n’y avait pas de psychose, ni de psychotiques… ou alors, il y avait seulement des psychoses ignorées et des psychotiques inconscients de leur état, au choix.

Que s’est-il passé en 1845 ? a-t-on fait une découverte scientifique qui a permis d’identifier une nouvelle maladie ?... Pas du tout.

En 1845, le docteur Ernst von Feuchtersleben, autrichien ayant lui aussi un don certain pour la néologie, inventa le terme psychosis à partir du grec psukho- et ôsis-, par opposition à névrose, qui existait déjà. Il baptisa de ce nom une maladie mentale grave dont le malade ne reconnaît pas le caractère morbide[2].

Autrement dit, il n’y a pas de psychotique conscient de son état… si vous croyez que vous êtes psychotique, vous n’êtes pas psychotique, puisque vous avez conscience que vous l’êtes !

À la question, « suis-je schizophrène ? », nous pouvons donc apporter dès maintenant un élément de réponse : si vous êtes sûr que vous êtes schizophrène, c’est que vous ne l’êtes pas.

Mais il reste encore un point à éclaircir : qu’est-ce qu’une maladie mentale ?... Lorsque nous aurons compris ce qu’est une maladie mentale, tout deviendra clair, puisque la schizophrénie est une psychose et que la psychose est une maladie mentale.

Poursuivons l’enquête.

Qu’est-ce donc qu’une maladie mentale ?... Une maladie mentale est, selon le dictionnaire, une psychose, une névrose, un trouble du comportement.

Patatra ! On est revenu au point de départ !... On cherchait l’explication ultime de la psychose, et voilà qu’on retombe sur la psychose… et la névrose qui apparaît ici en seconde position ne peut pas nous aider, puisque la psychose est tout à fait distincte de la névrose (on a vu que le mot psychose a été créé par opposition à névrose). Il ne nous reste plus qu’à nous rabattre sur le trouble du comportement.

Si nous comprenons ce qu’est réellement un trouble du comportement, nous comprendrons ce qu’est réellement une psychose, et si nous comprenons réellement ce qu’est une psychose, nous comprendrons ce qu’est réellement la schizophrénie. Courage, on est bientôt arrivé. C’est la dernière étape.

Ainsi donc, qu’est-ce qu’un trouble du comportement ?... pour le comportement, c’est facile : c’est la manière dont on se comporte, c’est-à-dire dont on agit, parle, etc. Quelque chose que l’on observe de l’extérieur. Quant au trouble, c’est un état de non-limpidité, de non-transparence. Lorsqu’on allie les deux mots, le sens de l’expression surgit : un trouble du comportement, c’est un comportement qui présente quelque chose de pas clair, d’incompréhensible, bref : de bizarre.

Et nous voici enfin rendu à bon port. Nous tenons enfin l’explication ultime. Au final, la schizophrénie, c’est un comportement qui n’est pas normal, et ça se voit. Alors si vous voulez savoir si vous êtes schizophrène, demandez aux gens s’ils vous trouvent bizarre. Si la réponse est « oui, t’es pas net », il est temps de vous inquiéter…

- Comment ?! Tout ça pour ça ?! On n’a pas avancé d’un pouce !... Je savais déjà que je ne suis pas normal… Allez ! Vous n’êtes pas sérieux… Je préfère demandez à mon psychiatre ; lui au moins il est compétent !

Tut, tut… Il n’y a pas de science psychiatrique occulte que les psychiatres garderaient jalousement pour eux et qui transcenderait les définitions du dictionnaire : les mots ont le sens qu’ils ont, et le dictionnaire reste fiable et égal à lui-même que l’on soit psychiatre ou déménageur, président de la république ou sans domicile fixe. Votre psychiatre vous dira plus ou moins la même chose que moi… mais le côté circulaire et insignifiant de son explication sera peut-être moins apparent.



[1] Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey.

[2] Ce qui est amusant dans cette définition, c’est qu’elle permet de qualifier de malade toute personne qui ne serait pas d’accord avec le diagnostic psychiatrique qu’on pose pour elle et qui oserait prétendre qu’elle est normale… commode, non ?

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