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21 octobre 2007

Un diagnostic accablant

On peut aussi se sentir accablé par le diagnostic.

Le mot décisif et redouté que le psychiatre laisse tomber sur nous nous écrase comme une condamnation définitive : "La cour déclare l'accusé psychotique !" Car même si l'énoncé n'est pas aussi solennel, et que le tribunal n'est qu'un cabinet médical, la sentence résonne à nos oreilles comme une condamnation à perpétuité.

C'est comme si brusquement, nous sortions de l'humanité ordinaire et normale pour entrer dans un zoo sinistre où les animaux seraient des fous ligotés, des fous qui bavent, des fous qui hurlent, des fous qui grognent… Image mentale fabriquée à partir de mauvais films qu'on a vus, image où il faudra désormais se trouver une place.

Chaque étiquette qu'on nous colle, chaque épithète dont nous affuble, est un univers où notre imagination nous projette bon gré mal gré, un costume que notre imagination nous fait endosser que cela nous plaise ou non, du moins jusqu'à ce que nous découvrions une preuve décisive que ce costume n'est pas le nôtre, qu'il ne nous appartient pas…

Qu'on dise à un enfant qu'il a "des yeux intelligents", et il ira scruter dans son miroir l'écho de cette intelligence qu'on lui a révélée, et à laquelle il se met déjà à croire. Ses résultats scolaires s'améliorent, il prend confiance en lui - et cette métamorphose miraculeuse, c'est un simple mot qui l'a déclenchée.

Inversement, qu'on dise à ce même enfant qu'il est taré ou qu'il est fou, et son imagination fertile lui fera immédiatement enfiler une camisole de force. Cette image mentale est une graine plantée dans son esprit ; avec le temps, si aucun message explicite ne vient l'en arracher, elle germera et deviendra visible…

Les adultes, comme les enfants, sont très suggestibles. Lorsqu'un psychiatre nous diagnostique, il nous suggestionne. Notre petit ego, parfois déjà très ratatiné, doit faire avec une nouvelle définition, pas particulièrement réjouissante, de lui-même. Il étouffait déjà entre quatre murs (car s'il était en pleine forme, nous ne serions pas dans le cabinet du psychiatre mais ailleurs, en train de travailler à réaliser nos rêves, à concrétiser nos projets), le voici maintenant enfermé entre quatre murs encore plus étroits : ceux d’une cellule capitonnée.

Certes, pour l’instant, il ne s’agit que de notre imagination, que d’une image qui nous traverse l’esprit. C’est nous qui ensuite, déciderons si nous devons accepter ou refuser le diagnostic, rejoindre la malheureuse communauté des psychotiques/névrotiques/schizophrènes, etc., ou considérer plutôt que, sur nous, cette étiquette n’a pas plus de pertinence que l’étiquette Vieux clous rouillés collée par une main inconnue sur un pot de confiture à la fraise, confiture un peu moisie en surface mais tout à fait comestible en dessous, et où, même en cherchant bien, on ne trouve aucun clou.

Car on peut reconnaître que l’on a un problème psychologique, et refuser le nom qu’un psychiatre a décidé de lui donner - comme on peut aussi laisser aux éboueurs le cadeau que nous a fait notre grand-tante pour Noël, même si une certaine culpabilité rend cet abandon difficile, quand le cadeau en question est un immonde cochon en porcelaine de près d’un mètre au groin retroussé par une hilarité malsaine, à poser dans l’entrée, notre entrée, pour faire joli.

On le peut, car lorsqu'un psychiatre nous annonce que nous sommes schizophrène, dépressif, bipolaire, hystérique… (barrer les mentions inutiles), il ne nous annonce pas l'équivalent d'une tumeur cancéreuse.

Dans le cas d’une tumeur cancéreuse, il faut à tout prix accepter le diagnostic pour pouvoir se soigner. Dans le cas d’une maladie mentale, par contre, il n’y a pas, en l’état actuel des choses, de vérité objective et scientifique qu’il faudrait à tout prix admettre pour être en mesure d’avancer vers la guérison, la solution.

Les noms des maladies mentales ne sont pas l’équivalent des noms des maladies physiques : lorsqu’un médecin révèle à un malade qu’il a un diabète, il lui donne véritablement la clef de son mal-être, l’explication ultime de ses symptômes physiques. Quelqu’un qui refuserait de croire à ce diagnostic (s’il est approprié), serait en bien mauvaise posture…

A la différence des noms des maladies physiques, qui sont des clefs, les noms des maladies mentales sont des sacs.

Quand on les déplie, on n’y trouve aucune explication, aucune cause finale : seulement un tas de symptômes hétérogènes rassemblés presque au hasard. Et de même que pour transformer une recette de tarte aux pommes en recette de tartes aux prunes il suffit de changer quelques ingrédients, de même pour changer une dépression en trouble bipolaire, il suffit d’ôter ou d’ajouter quelques symptômes.

Alors au nom de quoi devrions-nous accepter cette étiquette, si elle nous répugne ?...

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