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23 décembre 2008

Heureux comme vous : l'erreur salvatrice

Ce soir, il va être question d'identité.

Lorsque j'étais encore une très jeune fille, j'étais abonnée au magazine Astrapi.
L'un des numéros dont je faisais mes délices racontait en bandes dessinées l'histoire du poète par excellence : Rimbaud. Entre les bulles, des passages significatifs de ses poèmes étaient tracés à la plume, dans une écriture assez fleurie.

L'un d'eux m'a marqué ; il se terminait par ces mots : "...heureux comme une femme".

En fait, si vous connaissez le poème, vous savez déjà que ce n'était pas "heureux comme une femme" mais "heureux comme avec une femme". Mais moi j'ai lu "heureux comme une femme".

Ce qui a ouvert à mon imagination tout un monde de possibilités riantes...

J'étais une femme ; ou du moins, j'allais en devenir bientôt une. Je serais donc heureuse ! Heureuse par définition, comme le pinson est gai par définition. D'une erreur de lecture est née la croyance en mon bonheur futur...

Ce genre d'erreur ne fait que du bien ; mais on peut faire l'erreur inverse. Et dans ce cas, on n'a hélas même pas besoin de se tromper : il suffit de savoir lire.

Combien de livres suggèrent, impliquent ou disent qu'on peut être...

"malheureux comme une femme"
"malheureux comme un homme"
"malheureux comme quelqu'un d'intelligent"
"malheureux comme quelqu'un de sensible"
"malheureux comme quelqu'un qui a des hauts et des bas"
"malheureux comme un chômeur"
"malheureux comme une femme au foyer"
"malheureux comme un employé"
etc.!

Si on se laisse convaincre qu'on est essentiellement "dépressif", on interprètera ses moments de bonheur comme des parenthèses insignifiantes et sans conséquences ; si on se persuade qu'on est essentiellement "heureux", on interprètera ses moments de dépression comme des parenthèses insignifiantes et sans conséquence.

Se reconnaître "dépressif", s'identifier à cette étiquette, ce n'est pas comme se reconnaître alcoolique.

Un alcoolique qui ne s'avoue pas son alcoolisme n'a aucune chance de s'en débarrasser : il doit d'abord s'avouer son mal pour le combattre. Mais la dépression est quelque chose de nettement plus immatériel et subtil, et le fait même de s'identifier au mot conduit à pérenniser ce qu'il désigne. Se penser "dépressif", c'est mettre le malheur au centre de sa vie, au centre de son moi. Ce qui ne prépare par des lendemains qui chantent...

Je me suis trompée, c'est vrai.
Les femmes ne sont pas la référence en fait de bonheur ; en être une ne garantit pas une existence délicieuse.
Mais mon erreur m'a convaincu que le bonheur était quelque chose qui faisait naturellement parti de moi...
Croyance utile pour les mauvais jours : grâce à elle, la souffrance ne devient jamais "normale" ; grâce à elle, on continue à chercher sans relâche une solution, jusqu'à ce qu'on la trouve.

Inversement, de nos jours, beaucoup de personnes se laissent persuader que c'est le malheur qui fait naturellement parti d'elles...
Qu'il est inscrit dans leurs gènes (comme le bonheur était inscrit, selon moi, dans mes chromosomes XX) et dans leur cerveau.

Un dépressif heureux, est-ce que ça existe ?

Tant qu'on se considère comme "dépressif", le bonheur ne saurait être qu'un malentendu.

Cette étiquette poisseuse, "dépressif", collez-la sur votre frigo, sur votre chien ou sur votre psychiatre, mais ne la collez pas sur vous : elle ne vous fera pas de cadeau.

1 commentaire:

  1. C'est quand je lis ce genre de posts que je vois le chemin qui me reste à accomplir car je crois que je me suis coller ou fait coller peut importe cette étiquette de "dépressif".
    Vous savez la décoller Lucia ?
    Peut-être que Jack m'y aidera qui sait...

    Julien

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