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19 octobre 2009

Langage frelaté

Des psychiatres bien ou mal intentionnés vont placer parmi les symptômes de la dépression la "sensation d'oppression dans la gorge".

Pourquoi ne parle-t-il pas tout simplement d'angoisse ?...

Un petit tour par l'étymologie permet de découvrir qu'angoisse signifie "gorge serrée". Mais voilà : les psychiatres cherchent à traduire en un langage médical les mots ordinaires et clairs par lesquels on parle des émotions.

Ils voudraient s'approprier toutes les émotions. Ils voudraient que pour parler des émotions les plus naturelles, les plus courantes, on soit obligé de passer par leur vocabulaire à eux.

Vous ne voyez pas pourquoi ? Parce que les mots ont des connotations - et dès lors qu'on accepte certains mots, on a l'esprit orienté d'une certaine façon. Le langage est toujours politique. En psychiatrisant les émotions, les psychiatres cherchent à transformer la population entière en patients potentiels.

C'est à la fois très facile et très difficile à comprendre, parce que c'est un sujet sur lequel on parle peu, ce pouvoir des mots sur l'imaginaire et la pensée. Mais les principales batailles se jouent sur le vocabulaire : un mot gagné ou perdu peut changer radicalement la donne.

Je vous donne un exemple personnel.

Ma soeur a beaucoup dormi pendant le premier trimestre de sa grossesse - probablement parce qu'elle en avait besoin : une grossesse, c'est fatiguant, surtout au début. Il n'y vraiment pas de quoi s'inquiéter.

Mais un docteur bien ou mal intentionné lui a dit : "vous faites de l'hypersomnie".

Vous voyez comme tout de suite, ses longues nuits de sommeil prennent une autre dimension ?...
Une dimension pathologique et inquiétante ?
Pourtant le docteur n'a rien dit d'autre que : "Vous dormez beaucoup".
Mais il a suggéré autre chose.
Il a suggéré que ce sommeil-là est maladif, pathologique. Et le coefficient d'angoisse de ma soeur (autrement dit, sa "sensation d'oppression dans la gorge") a donc augmenté de quelques degrés. Il aurait peut-être suffi de quelques autres phrases du même style pour qu'elle fasse une dépression-vraie-maladie-qui-se-soigne...

Avec les mots, il faudrait toujours rester sur le qui-vive. Il n'est que trop facile se faire embarquer par eux - là où on n'a aucun intérêt réel à aller.

Maladie mentale, dépression, schizophrénie... tous ces mots-là peuvent faire beaucoup de mal, et ils en font. Leur sens objectif est parfois aussi creux que celui de "soleil cubique" et "poumon qui sert à flotter", tandis que leurs connotations sont terrifiantes, écrasantes.

N'acceptez pas n'importe quel terme comme une évidence, sous prétexte que vous l'entendez partout.

De même que la nourriture, empoisonnée par des conservateurs plus nocifs les uns que les autres, le langage a été frelaté.

On ne peut pas s'y fier, on ne peut pas lui faire confiance.

Chaque terme (surtout les termes qui ont une forte charge émotionnelle, surtout les termes qui vous accablent et vous écrasent) demande à être vérifier. Examinez-le de près. Soupesez-le soigneusement. Vérifiez ses coutures. Vous verrez que ce que vous preniez pour une notion solide n'est souvent rien de plus qu'une outre rempli de vent - une vessie passant pour une lanterne.

3 commentaires:

  1. Je tenais à souligner une autre ironie : ne pas reconnaitre qu'on est malade est signe de gravité de la dépression d'après l'échelle de Hamilton, très utilisée en milieu psychiatrique. Je ne connais pas beaucoup de "maladie" ou dire "je ne suis pas malade" est un signe de "maladie"... jolie et agréable façon de justifier le fait que si on ne crois pas ses psychiatres, on est fou! Et qui mieux placé que ces dits psychiatres pour nous le faire remarquer? Après tout, c'est leur métier, et, comme on me l'a aussi très justement dit "ils ont quand même fait dix ans de médecine"! Ha oui, félicitation, vous avez gagné, grâce à cela, la libre entrée dans mon inconscient!
    Mathilde, qui aime la psychiatrie, parce que ça la fait beaucoup rire! :)

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  2. Bonjour Mathilde,

    Merci pour les commentaires.

    L'échelle de Hamilton considère donc que ce qui est une caractéristique des personnes jouissant d'une pleine santé mentale (puisque celles-ci ne pensent pas être malades, elles non plus) est aussi, en même temps, un symptôme de grave maladie mentale.

    Toutes proportions gardées, cette ambivalence me rappelle l'astrologie, où le même symbole peut signifier une chose et son contraire (par exemple, la planète Vénus qui signifie aussi bien l'amour que la haine).

    Les pseudo-sciences présentent toujours quelques points communs.

    j'aimerais bien lire votre livre. C'est possible ?

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  3. ho oui, c'est tout à fait possible, bien sûr! Il n'est pas encore publié et je pense qu'il faudra que j'apporte quelques petites modifications dans la forme et que je corrige quelques fautes que mon jeune âge pardonne!
    Mais c'est avec plaisir que je t'envoie le manuscrit si tu arrives à me dire à quelle adresse...
    Bon après-midi
    Mathilde-la-dépressive-borderline-folle-stress-post-traumatique-suicidaire-manipulatrice.
    Pour dire mon nom complet :)

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